Connaissance des arts | « Le plastique peut être aussi précieux que le cristal » Par Louise Cordier et Raphaëlle Le Baud
Une des seize sculptures de la série Poppy Gigantea Petrotoxica, 2023, présentée lors de l’exposition « Les Racines Poussent dans l’Ombre », jusqu’au 24 février 2024 à Aix-en-Provence. © William Amor.
Inspiré par les paruriers et les ennoblisseurs, l’artiste William Amor transforme des déchets en sculptures florales. Au micro de Raphaëlle Le Baud, une rencontre avec un poète du réemploi.
William Amor est ennoblisseur de matières délaissées. Avec les fers à gaufrer de la haute couture et les meilleures techniques des ébénistes, il transforme le plastique en pétales de fleurs, les mégots en marqueteries multicolores. Il coupe, il chauffe, il colle, il sculpte une matière qu’il compose lui-même. En prônant l’utilisation raisonnée des ressources et la poésie du réemploi, il est la preuve, s’il en fallait, que les métiers d’art ont un rôle à jouer dans la transition écologique. Au micro de Raphaëlle Le Baud pour le podcast The Craft Project, il raconte comment il a inventé cet artisanat d’un genre nouveau.
Laisser parler sa sensibilité
William Amor a eu plusieurs vies. Aujourd’hui, on le trouve villa du Lavoir, un lieu d’émulation artistique qui regroupe treize artisans designers, village caché des nouveaux talents. Pourtant, il a fallu du temps pour oser arriver là où il est, épanoui dans sa pratique artistique. « Se choisir, décider de son avenir à 17 ans, c’est difficile », se remémore-t-il. Adolescent doué en biologie, il choisit d’abord d’étudier les molécules et la biochimie. Son histoire d’amour avec le vivant trouve ici ses racines.
Mais il lui manque la sensibilité artistique : William Amor veut s’exprimer, rendre hommage à cette nature qu’il admire. Réorienté dans le secteur de la communication, il garde sa pratique pour son temps libre. Jusqu’à ses 35 ans où il décide de faire de sa passion son métier. « C’était ma nourriture personnelle. Enfin, j’étais prêt : prêt à vendre ce qui venait de moi, à me présenter, à défendre des propositions créatives pour vivre de mon art. »
Détail d’une parure créée pour le défilé de la collection printemps-été 2024 de Balmain. © William Amor.
Créer par la matière
William Amor n’a pas grandi dans un environnement artistique. Sa sensibilité est intérieure, profonde, le fruit d’observations. « La matière est ma base de réflexion. Tout ce qui m’entoure est sujet à création », explique-t-il. Celui qui se rêvait botaniste, inventant de nouvelles variétés de fleurs, a pris des chemins de traverse. Il créé des jardins imaginaires en plastique gaufré, sculpte des arbres colorés…
Mon métier aujourd’hui, c’est artiste plasticien et ennoblisseur de matières délaissées, ces matières qu’on a jugées sans intérêt.
L’installation Théâtre de la métamorphose pour l’exposition « Art of Absolute » autour de la marque Lancôme, présentée à Shanghai jusqu’au 28 janvier 2024. © Lancôme / Somexing.
William Amor doit ce choix à un raisonnement simple : « dans le vivant, il n’y a pas de déchet. Les humains sont les seuls à en créer, en exploitant excessivement le monde et ses ressources et en s’arrogeant le droit de définir ce qui a ou non de la valeur », explique-t-il. Pour faire changer notre regard sur ce qu’il appelle les « matières délaissées », il a expérimenté pendant plus de quinze ans une infinité de techniques qui font toute sa palette d’artiste.
L’installation Théâtre de la métamorphose pour l’exposition « Art of Absolute » autour de la marque Lancôme, présentée à Shanghai jusqu’au 28 janvier 2024. © William Amor.
Du produit de consommation à l’œuvre d’art
« Mes matériaux sont des graines, je ne sais jamais ce qu’elles vont devenir », explique William Amor. Sur eux, il pose un regard de préciosité. Il sait voir leur potentiel. « J’ai en tête la vision d’un rendu esthétique qui me guide dans la création. Tous les effets se trouvent déjà dans le vivant, c’est ce qui m’inspire. » Pour métamorphoser les déchets, il rivalise de poésie, mêlant à la fois des techniques de haute couture et des outils de joaillier. Autodidacte, il n’a aucune limite.
J’essaie, j’expérimente. Chaque opération est une rencontre, un défi qui me porte.
Une moquette imaginée pour l’exposition « Symbiose » au showroom de la maison Balsan, à Paris à l’automne 2023. © Tanguy de Montensson.
Pour faire comprendre et connaître son métier, il prend le temps d’expliquer : « la valeur de mes pièces ne tient pas à la matière employée mais au temps de travail et à la technique utilisée. Je souhaite aller plus loin que la notion d’upcycling, montrer que le plastique peut être aussi précieux que du cristal. » William Amor est un porteur de messages, sensible et audacieux.
Il faut planter des graines, agir, sans cesse. Oser construire quelque chose qui a du sens, pour pouvoir en vivre.
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